L’ONG Oxfam regrette l’impasse faite sur la question de l’annulation de la dette.
A l’issue du sommet sur le financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris le 18 mai, une série de mesures a été annoncée. Parmi celles-ci, le recours aux Droits de tirage spéciaux (DTS) que les dirigeants africains souhaitaient. Entretien avec Louis-Nicolas Jandeaux, chargé de plaidoyer Aide publique au développement et dette des pays du Sud chez Oxfam France.
Franceinfo : en quoi le recours aux Droits de tirage spéciaux (DTS) est-il une bonne idée?
Louis-Nicolas Jandeaux : les Droits de tirage spéciaux sont un outil intéressant pour injecter rapidement des liquidités dans les économies des pays les plus pauvres. Seulement, les DTS sont un outil du Fonds monétaires international (FMI). Leur émission nécessite par conséquent un accord de ses membres qui n’est pas le plus simple à obtenir. En outre, chaque pays bénéficie des DTS en fonction de sa participation au FMI. Ainsi les pays les plus pauvres, qui participent moins au fonctionnement de l’institution parce qu’ils ont peu de moyens, vont percevoir une petite partie de ces DTS, à savoir les fameux 33 milliards sur les 650 milliards qui devraient être émis. D’où l’idée de réallouer certains DTS. Emmanuel Macron parle de 100 milliards de DTS. Ce qui est très insuffisant.
Le principe de réallocation des DTS des pays riches au profit des plus pauvres qui fait son chemin s’apparente à un début de réforme d’un système qui laisse à la traîne les Etats les moins nantis, mais qui sont finalement ceux qui en auraient le plus besoin. Pourquoi une telle démarche serait souhaitable ?
La crise actuelle nous a montré que ce serait pertinent. Dans une situation comme celle-ci, les pays riches ont des capacités beaucoup plus importantes pour injecter des financements dans leurs économies. Par exemple, la dette totale sur la planète a bondi de 15 000 milliards de dollars du fait essentiellement des emprunts des pays les plus riches. En valeur absolue, les pays les plus endettés sont bien sûr les plus développés. Les Etats-Unis, le Japon, l’Italie et la France figurent aux premiers rangs. Mais les plus exposés, ce sont les pays pauvres et émergents, car leurs capacités de remboursement sont bien plus faibles que les nôtres. Par ailleurs, alors que nous empruntons à des taux neutres voire négatifs, ils subissent des taux d’intérêts insoutenables. Ces derniers sont régulièrement au-dessus de 10% dans le cadre de créanciers privés.
L’une des premières réactions d’Oxfam a été de dénoncer le fait qu’il ne soit plus question d’annulation de la dette. Pourquoi ?
L’objectif assumé de ce sommet était le suivant : discuter du financement des économies africaines afin d’éviter un nouveau cycle de surendettement de l’Afrique. Ni la directrice du FMI, ni Emmanuel Macron, ni le président de l’Union africaine n’ont mentionné la crise de la dette actuelle. Le G20, les pays riches et les institutions multilatérales que sont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale se limitent à quelques petites mesures concernant les dettes des pays les plus pauvres de la planète, y compris les Etats africains. Entre autres, la suspension du remboursement de la dette qui a été prolongée jusqu’à la fin de l’année 2021. Mais en 2020, on a seulement suspendu 1,6% de la totalité des remboursements de la dette des pays en développement. Ce qui est ridicule. De plus, cette initiative de suspension de la dette (Initiative de suspension du service de la dette du G20, ISSD) concerne un nombre restreint de pays dont certains n’ont pas fait la demande, de peur d’être exclus des marchés financiers, par exemple. Sans compter que l’ISSD a mis de côté les créanciers privés qui détiennent un tiers de la dette des pays africains.
A part cette question, les annonces faites à l’issue du sommet sont-elles à la hauteur de vos attentes ?
Non, parce que sur la question du vaccin, par exemple, Emmanuel Macron continue d’entretenir un certain flou. A l’inverse de Joe Biden qui a clairement affirmé qu’il soutenait les propositions sur la table pour lever les brevets et la réforme sur la propriété intellectuelle. Il faut donner les capacités aux pays du Sud de produire le vaccin et cela passe par la suspension des brevets, des droits de propriété intellectuelle et le transfert de technologies. Sur la dette, le président français s’est contenté de répéter ce qui a été décidé il y a un an et il y a six mois (notamment la suspension du service de la dette, NDLR). Sur les DTS, il y a une nouveauté : ce chiffre de 100 milliards, sauf que cette somme est très largement insuffisante. Quant à la vente d’une partie des réserves d’or du FMI, c’est une idée que nous évoquions en début de crise. Le FMI détient des réserves gigantesques et en vendre une petite partie permettrait d’annuler une grande partie des dettes détenues par l’institution. Tant mieux qu’Emmanuel Macron mette ce levier sur la table. Cependant, encore une fois, cela ne vas pas être la solution magique à tous les maux de l’Afrique. Dernière chose : il n’y a pas eu un mot sur le cœur de la solidarité internationale durant ce sommet, à savoir l’aide au développement. Ce qui est surprenant parce que c’est le seul budget qui permet aux pays riches de faire acte de solidarité vis-à-vis des pays les plus pauvres. C’est d’autant plus choquant que l’aide globale vers l’Afrique subsaharienne a baissé en 2020, en pleine pandémie. On ne parle pas du tout d’aide au développement mais à l’inverse, on fait l’apologie du secteur privé qui n’est pas la solution pour combler les manquements des Etats les plus nantis en matière d’aide au développement.
En évoquant la démarche adoptée durant ce sommet, le président sénégalais Macky Sall a parlé de « co-construction » entre les Africains et leurs partenaires. Il estime qu’il y a un changement de paradigme dans la mesure où l’Afrique avait pour une fois son mot à dire sur une problématique qui la concernait au premier chef. Partagez-vous son analyse ?
Nous sommes dans un moment de communication très important pour Emmanuel Macron sauf que l’Afrique n’a pas juste besoin d’effets de communication. Elle a besoin d’actes. Ce n’est pas la première fois que le président Macron organise un sommet sur le développement, sur le climat par le passé… Emmanuel Macron a l’habitude d’organiser des sommets qui, au final, ont des effets extrêmement limités. Sur le changement de paradigme mentionné par Macky Sall, c’est discutable : un sommet pour discuter du futur des économies africaines organisé par la France, à l’initiative du président français, c’est effectivement un concept… Macky Sall y voit un changement de paradigme, mais nous restons dubitatifs.
Légende photo : De gauche à droite, le président de la République démocratique du Congo et de l’Union africaine Felix Tshisekedi, son homologue français Emmanuel Macron et la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Kristalina Georgieva font une déclaration lors du Sommet sur le financement des économies africaines, au Grand Palais Ephémère, à Paris, France, le 18 mai 2021. (REUTERS)
Source : Falila Gbadamassi
France Télévisions – Rédaction Afrique